• Ô soldats de l'an deux ! ô guerres ! épopées !
    Contre les rois tirant ensemble leurs épées,
    Prussiens, Autrichiens,
    Contre toutes les Tyrs et toutes les Sodomes,
    Contre le czar du nord, contre ce chasseur d'hommes
    Suivi de tous ses chiens,

    Contre toute l'Europe avec ses capitaines,
    Avec ses fantassins couvrant au loin les plaines,
    Avec ses cavaliers,
    Tout entière debout comme une hydre vivante,
    Ils chantaient, ils allaient, l'âme sans épouvante
    Et les pieds sans souliers !

    Au levant, au couchant, partout, au sud, au pôle,
    Avec de vieux fusils sonnant sur leur épaule,
    Passant torrents et monts,
    Sans repos, sans sommeil, coudes percés, sans vivres,
    Ils allaient, fiers, joyeux, et soufflant dans des cuivres
    Ainsi que des démons !

    La Liberté sublime emplissait leurs pensées.
    Flottes prises d'assaut, frontières effacées
    Sous leur pas souverain,
    Ô France, tous les jours, c'était quelque prodige,
    Chocs, rencontres, combats ; et Joubert sur l'Adige,
    Et Marceau sur le Rhin !

    On battait l'avant-garde, on culbutait le centre ;
    Dans la pluie et la neige et de l'eau jusqu'au ventre,
    On allait ! en avant !
    Et l'un offrait la paix, et l'autre ouvrait ses portes,
    Et les trônes, roulant comme des feuilles mortes,
    Se dispersaient au vent !

    Oh ! que vous étiez grands au milieu des mêlées, Soldats !
    L'oeil plein d'éclairs, faces échevelées
    Dans le noir tourbillon,
    Ils rayonnaient, debout, ardents, dressant la tête ;
    Et comme les lions aspirent la tempête
    Quand souffle l'aquilon,

    Eux, dans l'emportement de leurs luttes épiques,
    Ivres, ils savouraient tous les bruits héroïques,
    Le fer heurtant le fer,
    La Marseillaise ailée et volant dans les balles,
    Les tambours, les obus, les bombes, les cymbales,
    Et ton rire, ô Kléber !

    La Révolution leur criait : - Volontaires,
    Mourez pour délivrer tous les peuples vos frères ! -
    Contents, ils disaient oui.
    - Allez, mes vieux soldats, mes généraux imberbes !
    Et l'on voyait marcher ces va-nu-pieds superbes
    Sur le monde ébloui !

    La tristesse et la peur leur étaient inconnues.
    Ils eussent, sans nul doute, escaladé les nues
    Si ces audacieux,
    En retournant les yeux dans leur course olympique,
    Avaient vu derrière eux la grande République
    Montrant du doigt les cieux ! ...

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  • L'océan sonore

    Palpite sous l’œil

    De la lune en deuil

    Et palpite encore,

    Tandis qu'un éclair

    Brutal et sinistre

    Fend le ciel de bistre

    D'un long zigzag clair,

    Et que chaque lame,

    En bonds convulsifs,

    Le long des récifs

    Va, vient, luit et clame,

    Et qu'au firmament,

    Où l'ouragan erre

    Rugit le tonnerre

    Formidablement.

    Paul Verlaine

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  • Despotique, pesant, incolore, l’Été,
    Comme un roi fainéant présidant un supplice,
    S’étire par l’ardeur blanche du ciel complice
    Et bâille. L’homme dort loin du travail quitté.

    L’alouette au matin, lasse, n’a pas chanté.
    Pas un nuage, pas un souffle, rien qui plisse
    Ou ride cet azur implacablement lisse
    Où le silence bout dans l’immobilité.

    L’âpre engourdissement a gagné les cigales
    Et sur leur lit étroit de pierres inégales
    Les ruisseaux à moitié taris ne sautent plus.

    Une rotation incessante de moires
    Lumineuses étend ses flux et ses reflux…
    Des guêpes, çà et là, volent, jaunes et noires.

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  •  

    Murmure autour de ma nacelle,
    Douce mer dont les flots chéris,
    Ainsi qu’une amante fidèle,
    Jettent une plainte éternelle
    Sur ces poétiques débris.

    Que j’aime à flotter sur ton onde.
    A l’heure où du haut du rocher
    L’oranger, la vigne féconde,
    Versent sur ta vague profonde
    Une ombre propice au nocher !

    Souvent, dans ma barque sans rame,
    Me confiant à ton amour,
    Comme pour assoupir mon âme,
    Je ferme au branle de ta lame
    Mes regards fatigués du jour.

    Comme un coursier souple et docile
    Dont on laisse flotter le mors,
    Toujours, vers quelque frais asile,
    Tu pousses ma barque fragile
    Avec l’écume de tes bords.

    Ah! berce, berce, berce encore,
    Berce pour la dernière fois,
    Berce cet enfant qui t’adore,
    Et qui depuis sa tendre aurore
    N’a rêvé que l’onde et les bois!

    Le Dieu qui décora le monde
    De ton élément gracieux,
    Afin qu’ici tout se réponde,
    Fit les cieux pour briller sur l’onde,
    L’onde pour réfléchir les cieux.

    Aussi pur que dans ma paupière,
    Le jour pénètre ton flot pur,
    Et dans ta brillante carrière
    Tu sembles rouler la lumière
    Avec tes flots d’or et d’azur.

    Aussi libre que la pensée,
    Tu brises le vaisseau des rois,
    Et dans ta colère insensée,
    Fidèle au Dieu qui t’a lancée,
    Tu ne t’arrêtes qu’à sa voix.

    De l’infini sublime image,
    De flots en flots l’oeil emporté
    Te suit en vain de plage en plage,
    L’esprit cherche en vain ton rivage,
    Comme ceux de l’éternité.

    Ta voix majestueuse et douce
    Fait trembler l’écho de tes bords,
    Ou sur l’herbe qui te repousse,
    Comme le zéphyr dans la mousse,
    Murmure de mourants accords.

    Que je t’aime, ô vague assouplie,
    Quand, sous mon timide vaisseau,
    Comme un géant qui s’humilie,
    Sous ce vain poids l’onde qui plie
    Me creuse un liquide berceau.

    Que je t’aime quand, le zéphire
    Endormi dans tes antres frais,
    Ton rivage semble sourire
    De voir dans ton sein qu’il admire
    Flotter l’ombre de ses forêts!

    Que je t’aime quand sur ma poupe
    Des festons de mille couleurs,
    Pendant au vent qui les découpe,
    Te couronnent comme une coupe
    Dont les bords sont voilés de fleurs!

    Qu’il est doux, quand le vent caresse
    Ton sein mollement agité,
    De voir, sous ma main qui la presse,
    Ta vague, qui s’enfle et s’abaisse
    Comme le sein de la beauté!

    Viens, à ma barque fugitive
    Viens donner le baiser d’adieux;
    Roule autour une voix plaintive,
    Et de l’écume de ta rive
    Mouille encor mon front et mes yeux.

    Laisse sur ta plaine mobile
    Flotter ma nacelle à son gré,
    Ou sous l’antre de la sibylle,
    Ou sur le tombeau de Virgile :
    Chacun de tes flots m’est sacré.

    Partout, sur ta rive chérie,
    Où l’amour éveilla mon coeur,
    Mon âme, à sa vue attendrie,
    Trouve un asile, une patrie,
    Et des débris de son bonheur,

    Flotte au hasard : sur quelque plage
    Que tu me fasses dériver,
    Chaque flot m’apporte une image;
    Chaque rocher de ton rivage
    Me fait souvenir ou rêver..

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