• Le temps des noyaux

    Jacques PRÉVERT
    Recueil : "Paroles"

     

     

    Soyez prévenus vieillards
    soyez prévenus chefs de famille
    le temps où vous donniez vos fils à la patrie
    comme on donne du pain aux pigeons
    ce temps-là ne reviendra plus
    prenez-en votre parti
    c’est fini
    le temps des cerises ne reviendra plus
    et le temps des noyaux non plus
    inutile de gémir
    allez plutôt dormir
    vous tombez de sommeil
    votre suaire est fraîchement repassé
    le marchand de sable va passer
    préparez vos mentonnières
    fermez vos paupières
    le marchand de gadoue va vous emporter
    c’est fini les trois mousquetaires
    voici le temps des égoutiers

    Lorsque avec un bon sourire dans le métropolitain
    poliment vous nous demandiez
    deux points ouvrez les guillemets
    descendez-vous à la prochaine
    jeune homme
    c’est de la guerre dont vous parliez
    mais vous ne nous ferez plus le coup du père Français
    non mon capitaine
    non monsieur un tel
    non papa
    non maman
    nous ne descendrons pas à la prochaine
    ou nous vous descendrons avant
    on vous foutra par la portière
    c’est plus pratique que le cimetière
    c’est plus gai
    plus vite fait
    c’est moins cher

    Quand vous tiriez à la courte paille
    c’était toujours le mousse qu’on bouffait
    mais le temps des joyeux naufrages est passé
    lorsque les amiraux tomberont à la mer
    ne comptez pas sur nous pour leur jeter la bouée
    à moins qu’elle ne soit en pierre
    ou en fer à repasser
    il faut en prendre votre parti
    le temps des vieux vieillards est fini

    Lorsque vous reveniez de la revue
    avec vos enfants sur vos épaules
    vous étiez saouls sans avoir rien bu
    et votre moelle épinière
    faisait la folle et la fière
    devant la caserne de la Pépinière
    vous travailliez de la crinière
    quand passaient les beaux cuirassiers
    et la musique militaire
    vous chatouillait de la tête aux pieds
    vous chatouillait
    et les enfants que vous portiez sur vos épaules
    vous les avez laissés glisser dans la boue tricolore
    dans la glaise des morts
    et vos épaules se sont voûtées
    il faut bien que jeunesse se passe
    vous l’avez laissée trépasser

    Hommes honorables et très estimés
    dans votre quartier
    vous vous rencontrez
    vous vous congratulez
    vous vous coagulez
    hélas hélas cher Monsieur Babylas
    j’avais trois fils et je les ai donnés
    à la patrie
    hélas hélas cher Monsieur de mes deux
    moi je n’en ai donné que deux
    on fait ce qu’on peut
    ce que c’est que de nous…
    avez-vous toujours mal aux genoux
    et la larme à l’œil
    la fausse morve de deuil
    le crêpe au chapeau
    les pieds bien au chaud
    les couronnes mortuaires
    et l’ail dans le gigot
    vous souvenez-vous de l’avant-guerre
    les cuillères à absinthe les omnibus à chevaux
    les épingles à cheveux
    les retraites aux flambeaux
    ah que c’était beau
    c’était le bon temps

    Bouclez-la vieillards
    cessez de remuer votre langue morte
    entre vos dents de faux ivoire
    le temps des omnibus à cheveux
    le temps des épingles à chevaux
    ce temps-là ne reviendra plus
    à droite par quatre
    rassemblez vos vieux os
    le panier à salade
    le corbillard des riches est avancé
    fils de saint Louis montez au ciel
    la séance est terminée
    tout ce joli monde se retrouvera là-haut
    près du bon dieu des flics
    dans la cour du grand dépôt

    En arrière grand-père
    en arrière père et mère
    en arrière grands-pères
    en arrière vieux militaires
    en arrière les vieux aumôniers
    en arrière les vieilles aumônières
    la séance est terminée
    maintenant pour les enfants
    le spectacle va commencer.

    1936

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  • je viens d'écouter le conseil privé  de zaz : mes jeunes années avec  mon père qui chantait pour moi , quel bonheur , il m'a sauté au visage

     

     

    Paroles La Complainte De La Butte par zaz

     

     La lune trop blême

    Pose un diadème
    Sur tes cheveux roux
    La lune trop rousse
    De gloire éclabousse
    Ton jupon plein d'trous
    La lune trop pâle
    Caresse l'opale
    De tes yeux blasés
    Princesse de la rue
    Soies la bienvenue
    Dans mon coeur brisé
    Les escaliers de la butte
    Sont durs aux miséreux
    Les ailes du moulin
    Protègent les amoureux
    Ma p'tite mendigote
    Je sens ta menotte
    Qui cherche ma main
    Je sens ta poitrine
    Et ta taille fine
    J'oublie mon chagrin
    Je sens sur tes lèvres
    Une odeur de fièvre
    De gosse mal nourri
    Et sous ta caresse
    Je sens une ivresse
    Qui m'anéantit
    Les escaliers de la butte
    Sont durs aux miséreux
    Les ailes du moulin
    Protègent les amoureux
    Les escaliers de la butte
    Sont durs aux miséreux
    Les ailes du moulin
    Protègent les amoureux

     

     

    elle l'a mise au gout du jour avec maestria ,impossible de vous la mettre car elle n'est pas encore sur le net , elle me fait penser à tous ces grands chanteurs auteurs  de ma jeunesse , brel , ferrat ,mouloudgi et ferré , même registre

     

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  • Janvier nous prive de feuillage ;
    Février fait glisser nos pas ;
    Mars a des cheveux de nuage,
    Avril, des cheveux de lilas ;
    Mai permet les robes champêtres ;
    Juin ressuscite les rosiers ;
    Juillet met l'échelle aux fenêtres,
    Août, l'échelle aux cerisiers.
    Septembre, qui divague un peu, Pour danser sur du raisin bleu S'amuse à retarder l'aurore ;
    Octobre a peur ;
    Novembre a froid ;
    Décembre éteint les fleurs ;
    et, moi, L'année entière je t'adore !
     
     

    Rosemonde Gérard

     

     

     

     

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  • Matin d’octobre

    C’est l’heure exquise et matinale
    Que rougit un soleil soudain.
    A travers la brume automnale
    Tombent les feuilles du jardin.

    Leur chute est lente. On peut les suivre
    Du regard en reconnaissant
    Le chêne à sa feuille de cuivre,
    L’érable à sa feuille de sang.

    Les dernières, les plus rouillées,
    Tombent des branches dépouillées ;
    Mais ce n’est pas l’hiver encore.

    Une blonde lumière arrose
    La nature, et, dans l’air tout rose,
    On croirait qu’il neige de l’or.

     

     

    François COPPÉE (1842-1908)

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